D'un système à l'autre

La France revient dans une ville qui s'est profondément transformée depuis 1870, elle a grandit et adoptée l'organisation administrative allemande. Elle compte notamment dans sa population 60 000 habitants de nationalités allemandes.

Le Reichsland, petit état membre de la confédération allemande, doté d'un grouvernement, de ministères et d'un parlement est incompatible avec l'organisation centralisée de la France de la IIIe République. Les autorités françaises décident de le scinder en trois départements comme avant 1870. Les ressortissants d'origine allemande, particulièrement nombreux à Strasbourg, sont poussés à l'émigration voire expulsés.

Ces mesures sont le préalable à une politique active francisation qui doit permettre, d'une part d'effacer les années d'annexion et de réintégrer rapidement la population alsacienne dans la communauté nationale.

Liquider le Reichsland

Le Reichsland avait au sein de l’Empire allemand le statut d’Etat fédéré, avec un gouvernement, des ministères et un parlement certes aux pouvoirs limités, tous établis à Strasbourg. Mais la nature même de ces structures administratives les rend incompatibles avec le paysage administratif français, encore très centralisé, de 1918. Le Landtag se transforme en commission provisoire, puis finit par être ajourné définitivement. Quant aux fonctionnaires, ils restent souvent en place jusqu’à l’arrivée de leurs successeurs français.


L’Alsace-Lorraine est ainsi à nouveau divisée en trois départements comme avant 1870, mais sans que l’on retrouve les mêmes limites territoriales. L’autorité est exercée par un commissaire général installé à Strasbourg : Georges Maringer, Alexandre Millerand puis Gabriel Alapetite ont pour mission d’installer la nouvelle administration et de faire entrer les institutions du Reichsland dans le cadre français.


L’administration municipale à l’instar de celles de la « Terre d’empire », organisée sur le modèle allemand était d’une réelle efficacité. Le retour à France conduit à la dissolution du conseil municipal qui est remplacé par une commission municipale provisoire jusqu’aux élections de 1919. Le départ des Vieux Allemands, fonctionnaires, universitaires, militaires, négociants, juristes, désorganise un temps les cadres de la société. Quant à l’arrivée d’agents publics français, elle ne se passe pas sans difficulté : se pose la question de la langue, de la connaissance du territoire et de ses particularités, mais aussi celle du droit, de la conception des magistratures publiques, de l’égalité de statut pour les fonctionnaires…


C’est une période de transition qui s’ouvre en novembre 1918.

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Vieux-Allemands et nationalité

La question de la présence des Vieux-Allemands, c’est-à-dire des personnes venues de différents Etats allemands après 1871 en Alsace, ou nés en Alsace de parents allemands, se pose dès novembre 1918, et d’autant plus à Strasbourg : la ville compte 30 % d’Allemands dont la grande majorité réside intra-muros.
Dès le 14 décembre 1918, un arrêté de l’autorité militaire divise la population en quatre groupes identifiés par les lettres A, B, C, D, reflétant leur origine et leur degré de légitimité à prétendre à la nationalité française. Ce principe de recensement et de catégorisation de la population vivant dans les provinces recouvrées avait été énoncé dès 1917 à l’instigation de l’abbé Wetterlé.


Dans le traité de Versailles, la France renonce au principe du droit du sol, mettant en avant le droit du sang. La population est ainsi répartie entre personnes automatiquement réintégrées dans la nationalité française, celles pouvant la réclamer au titre de leur ascendance ou des liens du mariage et celles devant demander la naturalisation. Les Vieux-Allemands sont susceptibles d’être expulsés s’ils n’obtiennent
pas de titre de séjour.


Si certains Allemands préfèrent partir dès l’arrivée des Français, d’autres tentent de rester, leur vie étant à Strasbourg, malgré un climat de haine qui éclate dans les discours et les slogans. Le monde enseignant et universitaire est particulièrement touché, alors qu’il avait fait de l’université de Strasbourg l’un des plus brillants centres de formation et de recherche d’Europe. Dans toute la population, des dénonciations apparaissent, ainsi que des pétitions appelant à l’ « épuration » contre ces « boches », y compris dans l’administration municipale.


Des commissions de triage, mises en place par l’autorité française pour identifier les individus munis de papiers français qui sont jugés hostiles à la France et de ce fait voués eux aussi à l’expulsion vers l’Allemagne, fonctionnent jusqu’en 1924.


En quelques mois, Strasbourg perd un tiers de sa population.

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La francisation

Les 48 années de politique de germanisation menée par l’Empire allemand ont plus qu’ailleurs laissé leur marque dans la capitale du Reichsland, Strasbourg, vitrine de l’Allemagne et siège des principales institutions de la Terre d’empire. Avec une surface intra-muros qui a triplé après 1876 grâce l’extension urbaine, la ville a en 1918 un caractère allemand marqué. Comme dans le reste de l’Alsace-Lorraine, les nouvelles autorités cherchent à faire disparaitre les reliquats de la période allemande par une francisation active.


Les noms de rues sont francisés, les noms de personnalités germaniques sont évincés au profit de dénominations françaises. La physionomie de la ville est également modifiée, avec la démolition de certains monuments et l’érection d’autres édicules rappelant les liens de la ville avec la France.


Mais cette francisation revêt aussi d’autres aspects. La langue constitue un point marquant de l’intégration dans la Nation. Or, Strasbourg et l’Alsace-Moselle sont, très majoritairement, germanophones. L’administration va, dans les faits, devenir bilingue tant pour permettre aux agents germanophones en poste de continuer à travailler que pour se faire comprendre de la grande majorité des usagers. Par ailleurs, le cadre législatif et règlementaire ne correspond pas à la réalité française demandant
le maintien du droit local.


L’école constitue un outil central de la politique de francisation. L’enseignement primaire et secondaire forme un domaine majeur d’influence dans un cadre resté confessionnel, au contraire de la situation outre-Vosges. Quant à l’université, pratiquement vidée de ses enseignants, elle est rouverte en novembre 1919 avec un nouveau corps professoral, comptant dans ses rangs des personnalités comme les historiens Marc Bloch et Lucien Febvre.

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Le retour à une vie normale

Après quatre années épuisantes, marquées par la dictature militaire et les privations, les Strasbourgeois aspirent à retrouver une vie normale. Mais il faut tenir compte de la mutation monétaire et de la réorientation des marchés vers la France ; la remise en route d’une économie en temps de paix est
laborieuse, notamment dans le domaine social.


La nouvelle municipalité poursuit la politique d’amélioration du logement initiée au début du XXe siècle par le maire Rudolf Schwander avec une attention particulière portée aux questions sanitaires et hygiénistes.


Enfin, la culture connaît une mutation importante, avec l’arrivée de Guy Ropartz à la tête de l’orchestre municipal : la programmation des oeuvres est, là encore, réorientée.


Le retour à la normale se fait peu à peu dans une ville à présent française dont une importante part de la population a été renouvelée par les nouveaux arrivants français. Les Strasbourgeois reprennent rapidement des habitudes outre-Rhin à la faveur d’un taux de change favorisant les « bonnes affaires ».


Mais de nombreux points restent en suspens : l’affrontement entre les partisans du maintien d’une situation spécifique et ceux de l’assimilation complète à la République jacobine débouche, à partir de 1924, sur un malaise politique qui alimente l’autonomisme des années 1920 et 1930.

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