La guerre des militaires

Strasbourg, place forte stratégique et ville symbole, joue un rôle particulier dans les plans des militaires allemands en 1914. Ceux-ci prennent le contrôle de la place dès la déclaration de guerre. Située à seulement 50 Km de la frontière avec la France, elle risque de faire l'objet d'un siège dès les premières semaines de la guerre, c'est pourquoi ses défenses sont puissament renforcées dès août 1914.

Principale ville de garnison du XVe corps d'armée allemand et tête de pont logistique sur la rive gauche du Rhin, Strasbourg, grâce à ses importantes infrastructures militaires, devient une importante plaque tournante qui doit soutenir le front en hommes, vivres et matériels mais aussi accueillir et soigner les blessés qui en reviennent.

Carte des alliances en Europe en 1914

Ete 1914, la guerre !

La montée des nationalismes et les rivalités économiques et coloniales entre les pays européens, depuis le XIXe siècle, avaient engendré la création de deux blocs opposés. D'une part, les empires centraux, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, s'étaient alliés à l'Italie (en 1891 mais elle change de camp en 1915) pour former la Triplice. De l'autre, la France s'était alliée à la Russie puis à l'Angleterre pour former la Triple Entente en 1907.

Le 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, est assassiné à Sarajevo par un nationaliste proserbe. Après l’attentat, personne ne croit à un risque de guerre. Mais l’action combinée des grands États européens va réduire à néant toute solution diplomatique à la crise austro-serbe.

Celle-ci s’aggrave à partir du 23 juillet lorsque l’Autriche-Hongrie, encouragée à la fermeté par l’Allemagne, adresse un ultimatum à la Serbie. En réaction, la Russie, assurée du soutien militaire de la France, décrète la mobilisation de son armée le 30 juillet suite à la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie.

Dès lors, les évènements se précipitent : l’empereur d’Allemagne signe la mobilisation le 1er août et déclare la guerre à la Russie, puis à la France le 3 août. Le 4 août, après l’invasion de la Belgique par les armées allemandes, la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne.

Ainsi, en quelques jours, une crise régionale a conduit, par le jeu des alliances, à un conflit européen, bientôt mondial.

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Proclamation de l’état de guerre, angle du Lycée Fustel, 31 juillet 1914

La mobilisation

La succession rapide des évènements prend les autorités militaires allemandes de court. Le 31 juillet, après la mobilisation russe, l’empereur décrète l’état de guerre qui est proclamé dans les rues de Strasbourg. Le 1er août, à 17 h, la mobilisation de l'armée allemande est signée par Guillaume II et transmise à l’ensemble des garnisons. Le même soir, les Strasbourgeois découvrent, placardé sur les murs de la ville et reproduit dans les journaux, l’ordre de mobilisation. Celle-ci débute le 2 août.

La rapidité de celle-ci doit permettre à l'armée allemande de prendre ses ennemis de vitesse et augmenter ainsi ses chances de victoire. En effet, l'Empire allemand doit se battre sur deux fronts, contre les Français à l'ouest et les Russes à l'est. Il se trouve de fait en infériorité numérique. Pour pallier cette situation défavorable, les stratèges allemands n'ont eu de cesse de développer des plans de marche visant à défaire rapidement un des deux adversaires pour pouvoir concentrer par la suite toutes leurs forces sur le second front. Depuis 1906, sous l’impulsion du comte Schlieffen, alors chef d’état-major, s’est imposée l’idée d’attaquer en premier lieu la France en marchant à travers la Belgique (bien que neutre) afin de prendre Paris par un mouvement d’encerclement.

Or Strasbourg ne se trouve qu’à 50 km de la frontière avec la France et n’est donc pas à l’abri d’une attaque française dès les premières semaines du conflit. C’est pourquoi les unités du XV. Armeekorps stationné en Alsace doivent attendre l’arrivée des unités de réserve appelées à défendre la place, certaines venant de Bavière. Ce n’est qu’une fois relevés par celles-ci, que les régiments strasbourgeois peuvent se mettre en marche pour prendre leur place dans le plan Schlieffen.

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Ouvriers (Armierungsarbeiter) du 9e bataillon de travailleurs

La mise en état de défense de la place

Strasbourg doit, en liaison avec la position de la Bruche - Breuschstellung - et la forteresse Empereur Guillaume II - Feste Kaiser Wilhelm II. -, sur la colline de Molsheim-Mutzig, barrer la plaine d’Alsace d’est en ouest pour arrêter toute offensive française provenant de Belfort.

L’état major allemand compte sur une telle offensive en Haute Alsace pour y attirer d’importantes forces ennemies. Celles-ci feront défaut lors de l’invasion du nord de la France et de l’offensive sur Paris. C’est dans ce but que la ligne principale de défense en Alsace est située à la hauteur de Strasbourg et le long du Rhin.

Strasbourg avait vu ses fortifications renouvelées à partir de 1872 par la construction d’une ceinture de 14 forts et d’une nouvelle enceinte urbaine. Mais ce dispositif est vite obsolète. Face à cette obsolescence et à l’augmentation constante de leur coût, les ingénieurs militaires avaient fait le choix de repousser bon nombre de constructions en temps de guerre. Pour ce faire, ils conçoivent un plan d’armement de la place - Armierungsplan - mis à jour annuellement. Tout y est soigneusement planifié : ouvrages à réaliser, matériaux nécessaires ainsi que leurs fournisseurs, ouvriers et outillages, délais d’exécution…

Une fois la mobilisation proclamée, le gouverneur militaire de Strasbourg, Magnus von Eberhardt, a les pleins pouvoirs pour mettre à exécution le plan qui prévoit l’action combinée d’environ 40 000 travailleurs et d’une garnison de 60 000 hommes pour défendre la ville. Les travaux commencent dès les premiers  jours d’août 1914 pour ne s’achever qu’en avril 1916. Environ 1000 ouvrages de béton de toutes tailles, des kilomètres de tranchées et de réseaux barbelés ont été édifiés de Strasbourg à Mutzig sur un  front d’à peine 30 km.

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Vue aérienne de Strasbourg, 1916

Une ville-hôpital

Dès la mobilisation, l’armée réquisitionne de nombreux bâtiments publics (hôpitaux, écoles, administrations) mais aussi privés (grand séminaire, couvents, foyers, restaurants) pour les convertir en Festungslazarette - hôpitaux militaires de place forte - destinés à accueillir les blessés venus du front.

La place passe ainsi de 2 hôpitaux militaires en temps de paix à 38 en temps de guerre, offrant pas moins de 10 000 lits contre 1100 auparavant. Certains d’entre eux sont répartis sur plusieurs sites, proches les uns des autres. C’est donc un total de 58 édifices qui sont ainsi réquisitionnés, à Strasbourg mais aussi à Kehl et Schiltigheim, allant de simples restaurants à des édifices prestigieux comme le Palais impérial (actuel Palais du Rhin) ou le bâtiment du Parlement - Landtag (actuel TNS).

Si la majorité des établissements se consacre à la chirurgie, d’autres sont spécialisés dans les soins dentaires ou l’ophtalmologie, d’autres encore sont dédiés aux troubles psychiatriques. Certains établissements, comme le Lazarett 10 au Neudorf, accueille les malades infectieux. On soigne en 1917-1918 un nombre important de prisonniers roumains et russes frappés d’une épidémie de typhus. Entre le début d’août 1914 et fin septembre 1914, les hôpitaux de Strasbourg ont déjà traité quelque 44 000 blessés !

Le personnel se compose de médecins militaires d’active, mais aussi de réservistes. Strasbourg, ville de l’arrière, se voit affecter souvent des médecins âgés. Ils sont aidés par des médecins civils qui n’ont pas été mobilisés, mais consacrent une partie de leur temps aux blessés des Lazarette. Le personnel infirmier est constitué d’infirmières diplômées, de religieuses et de soldats plus ou moins formés.

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