1877-1960, l'ère du tramway

Si la traction animale entraine des débuts difficiles, le développement rapide dun réseau et son électrification à partir du 1894, permettent la croissance du trafic jusqu’en 1914. La Première Guerre mondiale met à rude épreuve matériels et personnels où les femmes ont fait leur entrée en 1915. Après 1918, les pouvoirs publics viennent au chevet d’une CTS financièrement mal en point lui permettant de renouer avec le succès.

Mais dès les années 1930, le tramway amorce son déclin au profit de la voiture et de l’autobus. Seules les pénuries de la Seconde Guerre lui permettent de redresser provisoirement la barre. Le trafic plonge et progressivement lignes de tramwaysont remplacées par des bus. La dernière ligne, du Stockfeld à Hœnheim, s’arrête le 30 avril 1960. Le 1er mai, « l’enterrement du tramway » attire 100 000 personnes.

Fiacres place Gutenberg, vers 1890

Avant la CTS

L’histoire des transports en commun commence à Strasbourg vers 1848. Aux fiacres, stationnés sur les places Kléber, Gutenberg, Broglie et à l’ancienne gare sur le quai Kléber (Place des Halles) succèdent, dans les années 1860, les omnibus simples puis à l’impériale (à deux niveaux). En 1866, Charles Hoffman, propriétaire de fiacres, ouvre des lignes d’omnibus vers Schiltigheim, La Robertsau et vers Kehl. Mais ces derniers sont lents, peu confortables et n’offrent que 32 places assises pour un omnibus à l’impériale.

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Atelier rue des Bonnes-Gens, 1880

1877-1894, de cheval et de vapeur

Après 1870 et l’annexion à l’Empire allemand, Strasbourg s’étend rapidement et la population demande un système de transport en commun rapide et confortable entre les faubourgs et le centre. Le rail, à l’exemple des chemins de fer, semble alors la meilleure solution.

Le 5 avril 1877, est créée la Straßburger Pferde-Eisenbahn-Gesellschaft, société au capital de 640 000 marks. Cette compagnie signe un contrat de concession jusqu’en 1910 avec la Ville pour la réalisation de sept lignes de tramways, à partir de la place Kléber :

  • en direction de Hœnheim par la porte de Pierre,
  • jusqu’au pont de Kehl,
  • jusqu’à Illkirch-Graffenstaden,
  • jusqu‘à Wolfisheim par Koenigshoffen et Eckbolsheim,
  • jusqu’à la Robertsau,
  • jusqu’à Oberhausbergen par Cronenbourg ;
  • une dernière, depuis un embranchement de la ligne de Kehl, vers le Neudorf et le Neuhof.

Toutes ces lignes doivent être raccordées aux gares du chemin de fer de l’État. La ligne vers Kehl doit être construite en premier et achevée pour le 1er juin 1878. Un arrêté municipal interdisant la traction vapeur intra-muros par crainte des incendies, y impose de ce fait la traction animale. La compagnie installe son dépôt rue des Bonnes-Gens avec 40 voitures et 14 locomotives.

La première ligne hippomobile ouvre le 22 juillet 1878 et relie la place du Faubourg-de-Pierre à la place d’Austerlitz en passant par la place Kléber. Le 14 octobre la ligne est étendue grâce à la traction vapeur de la place d’Austerlitz au pont du Rhin et de la place du Faubourg-de-Pierre à Hœnheim. En 1880 ouvre la ligne du Faubourg-National à Koenigshoffen, puis en 1883 la ligne Kléber-Orangerie-Robertsau. Le réseau se développe rapidement malgré des résultats financiers mitigés dus aux aléas de la traction animale. En 1885 sont inaugurées la ligne Koenigshoffen-Wolfisheim (étendue à Breuschwickersheim en 1901), et celle de la place d’Austerlitz à Neudorf-est. L’année suivante la ligne du quai Saint-Nicolas à Graffenstaden est mise en place. Le réseau compte en 1886 35 km de voies et 3,3 millions de voyageurs. Puis la compagnie marque une pause de 13 ans dans l’extension du réseau urbain au profit des lignes suburbaines.

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Ligne de Strasbourg-Westhoffen inaugurée en 1908, arrêt de Fessenheim

De la ville à la campagne et retour, les lignes suburbaines

Après 1870, l’Empire allemand encourage par le biais de subventions les créations de lignes de chemins de fer d’intérêt local à voie étroite venant compléter le réseau de chemin de fer d’État, la Reichsbahn. Ces lignes de complément (ou Nebenbahn), concédées à des sociétés privées, doivent permettre de relier aux grands centres urbains les campagnes - Hinterland - mal desservies par le chemin de fer. Les Nebenbahnen se distinguent du réseau ferré étatique par l’écartement des voies qui est d’un mètre contre 1,44 mètre pour le chemin de fer et par le fait qu’elles sont situées pour la plupart sur le réseau routier et non en site propre. Ce type de lignes suburbaines est donc très proche du tramway dont il peut utiliser le réseau et le matériel roulant.

La compagnie strasbourgeoise, désireuse de développer de telles lignes notamment pour le transport de marchandises, ouvre en quelques années plusieurs lignes :

  • 1886, extension de la ligne urbaine de Strasbourg à Graffenstaden par une ligne de Graffenstaden à Boofzheim et Rhinau, prolongée l’année suivante jusqu’à Marckolsheim,
  • 1887, ligne de 15 km reliant l’ancienne gare française (devenu marché couvert, quai Kléber) à Truchtersheim,
  • 1889, liaison de 5,5 km vers la gare d’Erstein-Gare à partir de la ligne de Boofzheim. Cet embranchement conduit à la création de la sucrerie d’Erstein en 1893.

L’État badois lance en 1890 une loi de programmation sur les chemins de fer suburbains et concède à la compagnie la création de telles lignes sur la rive droite du Rhin :

  • 1892, ligne de 38 km de Kehl à Bühl en passant par Lichtenau,
  • 1898, ligne de 11,3 km d’Altenheim à Offenburg,
  • 1898, juillet, ligne de 24,7 km de Kehl à Ottenheim.

En 1898, la compagnie ouvre au trafic de passagers la gare locale du Marxgarten (place de l’Etoile) notamment comme gare de départ de la ligne de Marckolsheim.

1903 voit l’ouverture, à partir de la ligne de Truchtersheim, d’une ligne entre l’ancienne gare (Place des Halles) et Westhoffen soit 21 km. Enfin en 1909, ouvre la ligne de Schwarzach à Rastatt, embranchement de la ligne vers Bühl.

En 1918, les lignes d’intérêt local gérées par la CTS atteignent 200 km, dont 105 km dans le Bas-Rhin et 95 km en pays de Bade. Les lignes badoises sont cédées en 1920 pour être définitivement rachetées en 1922 par l’État badois. Ce rachat conduit l’année suivante à la création de la Mittelbadische Eisenbahn Gesellschaft. Les dernières lignes badoises sont supprimées en 1955. La CTS reçoit en 1923, en guise de dommage de guerre, la ligne de chemin de fer local (mise sous séquestre par l’État français en 1919) de Rosheim à Saint-Nabor, créée en 1900 et détenue jusque-là par la société berlinoise Véering & Wächter.

En 1924, la CTS signe un contrat avec le département du Bas-Rhin pour la création d’une ligne de Strasbourg à Ottrott en passant par Obernai, celle-ci ouvre en 1930.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, les matériels à vapeur vieillissants demandent de plus en plus de moyens afin d’assurer leur entretien ou leur remplacement.Le déficit qui en découle pose la question du maintien de ces lignes rurales. Afin de renouer avec la rentabilité, la CTS procède, en 1925-1926, à l’électrification de l’ensemble du réseau suburbain grâce à une importante subvention du département qui devient actionnaire de la compagnie.

Si l’électrification des lignes permet une embellie du trafic voyageurs comme du trafic de marchandises, la fréquentation baisse à nouveau régulièrement à partir de 1930. Le trafic repart à la hausse durant la Seconde Guerre mondiale et atteint son maximum en 1943. En effet, face aux pénuries induites par la guerre, les Strasbourgeois, tout comme en 1914-1918, utilisent ces lignes pour trouver à la campagne les denrées alimentaires qui leur font défaut : cette pratique interdite liée au marché noir est surnommée la Hamsterfahrt. La guerre une fois terminée, la fréquentation replonge et ne cesse de baisser jusqu’à la fermeture progressive des lignes dans les années 1950 au profit des bus.

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Convoi de betteraves sucrières rue des Bouchers, vers 1930

Du foin, des colis et de la betterave, le transport de marchandises

Le transport de marchandises entre la campagne et la ville est grandement facilité par les lignes suburbaines vers le Kochersberg et vers Marckolsheim. Les trains acheminent tout ce dont la ville a besoin : céréales, pommes de terre, paille, foin, bétail… A partir de 1900, les livraisons de lait vers la laiterie centrale se font à l’aide d’une remorque dédiée.

De la même manière, la ligne vers la gare d’Erstein favorise en 1893 l’implantation de la sucrerie qui profite du tramway auquel elle est raccordée pour s’approvisionner en matière première. L’usine permet non seulement un essor du transport de marchandise de la compagnie mais également de relancer la culture de la betterave sucrière, ce jusque dans le Kochersberg grâce la ligne de tramway de Truchtersheim.

En sens inverse, les tramways acheminent à la campagne de la pulpe de betteraves pour le bétail, de l’engrais et des semences. Journaux, lettres et colis sont livrés dans les villages à l’aide de remorques postales acquises en 1897. A partir de 1907, l’Administration des postes exploite elle-même trois motrices postales qui assurent le transport du courrier de la poste centrale à la gare, permettant la liaison avec les trains postaux.

Les tramways servent également à acheminer le charbon aux Hôpitaux civils et aux bains municipaux, jusqu’en 1960. Le réseau est enfin utilisé pour transporter les poubelles de la ville à la décharge de Graffenstaden.

Pour ce faire, la CTS acquiert un important parc de véhicules, tracteurs et remorques, adaptés au transport de marchandises. Cependant, le manque d’industries d’importance dans la zone d’action de la compagnie, essentiellement rurale, rend l’activité peu rentable. 1925 constitue le record, avec 182 000 tonnes de marchandises transportées, mais à partir de 1926 le tonnage ne cesse de baisser au profit du transport routier, plus économique. En 1947, les tramways postaux sont supprimés et en 1957, le transport de betteraves en tramways à travers la ville est remplacé par des camions.

Avant même l’arrêt du réseau de tramways, la CTS investit dans du matériel routier, tracteurs et semi-remorques, permettant le transbordement, à l’aide d’un portique, de conteneurs du tramway sur des convois routiers. Dans les années 1960, la CTS acquiert du matériel lui permettant d’effectuer tous types de transports y compris des convois exceptionnels. Mais au milieu des années 1970, le Conseil d’administration de la compagnie décide de se recentrer sur le transport de voyageurs et abandonne le transport de marchandises.

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La place Kléber vers 1900

1894-1920, Les bienfaits de la fée électricité

La traction animale n’est de loin pas satisfaisante. Aussi, la compagnie entame en 1894 l’électrification de son réseau avec l’aide de la société AEG qui fournit les 14 premières motrices électriques et devient son actionnaire principal en 1897. La même année, pour entreposer son nouveau matériel, la compagnie construit une gare de marchandise et un dépôt au Marxgarten (à l’emplacement de l’actuelle place de l’Etoile). En 1898, le réseau urbain passe en voie métrique et le tramway peut traverser le Rhin par le nouveau pont routier.

A partir de 1899, la compagnie, forte d’un réseau à présent électrifié, reprends son extension :

  • 1899, premier tronçon d’une ligne de ceinture de la gare à la place du Faubourg-de-Pierre
  • 1900, du Broglie au Tivoli,
  • 1900, de la Porte-de-Schirmeck à Roettig (étendue à Lingolsheim en 1902),
  • 1900, du Faubourg-de-Saverne à Cronenbourg,
  • 1900, du Pont Royal à la place du Corbeau,
  • 1901,  la ligne de ceinture est étendue de la place du Corbeau à la Gare par le Finkwiller,
  • 1904, de la place du Faubourg-de-Pierre à la place Arnold par l’avenue des Vosges (étendue à la porte de Kehl en 1907),
  • 1907, liaison entre l’avenue des Vosges et l’avenue de la Marseillaise par la rue Lamey.

En 1907, la compagnie transporte 20 millions de voyageurs ; elle abandonne le vert olive au profit du blanc ivoire et met en place l’année suivante la première numérotation de son réseau en 12 lignes urbaines. En 1912, la Ville de Strasbourg prend 51 % des actions de la compagnie pour s’en assurer le contrôle. 1913 voit la création de la ligne 15 de la place Arnold à la Porte du Canal (desservant le tout nouveau Quartier des XV).

Le réseau semble alors parachevé et la compagnie souhaite se concentrer sur la modernisation du matériel roulant. Mais la Première Guerre mondiale met un coup d’arrêt à l’entreprise. Dès la mobilisation de 1914, les tramways sont placés sous contrôle de l’autorité militaire qui emploie notamment 14 motrices au transport des blessés. Pour faire face à une diminution de 30 % de ses effectifs, la compagnie introduit en septembre 1915 la main d’œuvre féminine et embauche 260 femmes comme receveuses et conductrices. Les pénuries en matière première et en main d’œuvre nuisent à l’entretien du matériel qui sort de la guerre en mauvais état ; l’exploitation est devenue difficile et déficitaire. Seule une subvention de la Ville de Strasbourg permet de faire face aux dépenses les plus urgentes comme le renouvellement des moteurs de traction.

Dès 1918, l’extension du réseau reprend avec l’ouverture des lignes 9 de la place de la Bourse à l’Arsenal et de la ligne 3 de Robertsau-Église à la Papeterie, étendue en 1919 à Robertsau-Aigle (Sainte-Anne).

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Tramway de la ligne 1, rue du 22-novembre, années 1920

1920-1960, de l'âge d'or au déclin

En 1920, la CTS qui a perdu son réseau en Pays de Bade sort de 4 années de guerre qui ont mis à mal son matériel et ses finances.

Cependant, à partir de 1923, elle poursuit l’extension du réseau urbain avec le prolongement de lignes préexistantes (ligne 8 jusqu’au Wacken, ligne 9 jusqu’à la route de Brumath) voire de nouveaux tracés comme pour la ligne 1, par l’avenue Jean-Jaurès, après la création du bassin Vauban et le déplacement du pont sur le Petit-Rhin.

En 1925, le sigle CTS remplace l’inscription « Compagnie des Tramways Strasbourgeois » sur les véhicules. En 1928, les tramways circulent de 4h30 le matin à 1h10 dans la nuit. En 1930, la compagnie connait un pic de fréquentation avec 54 millions de voyageurs. Cette même année, la CTS fait construire un nouveau dépôt à Cronenbourg et l’administration y est transférée en 1932. Mais dans les années 1930 le trafic baisse continuellement jusqu’à la guerre. En 1938, la fréquentation est tombée à 32,8 millions de passagers.

En 1939, après l’évacuation de la population strasbourgeoise, le réseau est mis à la disposition de l’armée. Après les destructions de mai 1940, le trafic reprend progressivement à partir du 22 août 1940. En mai 1942, les autorités allemandes rétablissent la desserte de Kehl par la ligne 1 grâce des ponts provisoires en bois. 1943 constitue le pic de fréquentation du tramway avec 71,5 millions de voyageurs sur les lignes urbaines et 4,3 millions pour les lignes suburbaines. A la Libération de la ville, le réseau est arrêté de novembre 1944 à avril 1945, puis reprend progressivement jusqu’en juin 1945 où l’ensemble du réseau fonctionne à nouveau.

Mais plus encore qu’en 1918, la CTS sort exsangue d’une guerre durant laquelle son réseau et son matériel ont été mis à rude épreuve. D’une part, la fréquentation du tramway continue de baisser dans les années d’après-guerre, conséquence de la démocratisation grandissante de l’automobile ;  d’autre part, l’autobus, moins cher et plus souple d’emploi, est de plus en plus plébiscité par les pouvoirs publics face au tramway. Celui-ci apparait alors, par sa lenteur et son emprise sur la voirie, comme un frein au développement du trafic routier alors en plein boom. Les années 1950 marquent ainsi le déclin rapide du tramway au profit de l’autobus.

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Faire part de « l’enterrement du tramway » du 1er mai 1960, recto

1er mai 1960, le dernier tramway

Dès 1937, la CTS procède au remplacement de tramways par des bus, sur la ligne de Truchtersheim durant l’hiver 1937/1938, de Westhoffen ainsi que de Wolfisheim à Breuschwickersheim. En 1938, le transport de personnes est supprimé sur le tronçon Boofzheim - Marckolsheim.

La baisse de fréquentation entrainant le déclin du tramway dans les années 1950 conduit à la suppression progressive des lignes urbaines puis suburbaines au profit du bus (1953 : Truchtersheim et Westhoffen, 1954 : la Robertsau, 1955 : Ottrott et Rhinau…).

Durant l’été 1956, la majeure partie du matériel suburbain est incendié à Obernai puis ferraillé. Seuls quelques rares wagons sont revendus pour servir, par exemple, d’abris de jardin.

Le 30 avril 1960, la dernière ligne de tramways urbaine, la ligne 4/14/24 du Neuhof à Hœnheim, est à son tour arrêtée.

Le 1er mai 1960, un  « enterrement du tramway » est organisé : précédé de l’Harmonie municipale de Strasbourg,  le cortège part à 15 heures du Stockfeld pour gagner le centre-ville par la rue des Bouchers, puis il prend la direction du cimetière Sainte-Hélène ; le convoi traverse Schiltigheim, Bischheim et Hœnheim où les fanfares des différentes communes se relayent pour lui ouvrir la marche.

Le cortège se veut une reconstitution de l’ensemble de l’histoire de la CTS, de la traction animale aux nouveaux autobus Chausson de 1960. Des figurants en costumes historiques et du matériel ancien illustrent cet évènement plein de nostalgie. 100 000 personnes assistent avec émotion au dernier baroude d’honneur du vieux tramway et de ses derniers Wattmen.

Du 2 au 5 mai 1960, la quasi-totalité des rames strasbourgeoises est incendiée à Cronenbourg avant d’être ferraillée.

Seule rescapée du cortège de 1960, la motrice n° 185, de fabrication Carel & Fouché au Mans, est rachetée par le Musée des transports urbains interurbains et ruraux situé en région parisienne. Ce musée avait déjà reçu de la CTS en 1958-1959, la motrice n° 56 de fabrication Thomson et la remorque n°70, toutes deux de 1898.

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