Les formes d’écriture : textura, gothique, Sütterlin…

Jusqu’au XVIIe siècle, l’écriture n’est maîtrisée que par une minorité de la population. Clercs, scribes, commerçants et particuliers se l’approprient et font évoluer la manière de former les lettres. Aux Archives de Strasbourg cette histoire débute au XIe siècle.

Détail d'un Schwörbrief de Strasbourg (jpg - 317 Ko)

Détail d'un Schwörbrief de Strasbourg

Naissance et maturation de l’écriture gothique

Après l’an mil, l’écriture arrondie issue de l’époque de Charlemagne, la minuscule caroline ou karolingische Minuskel, évolue vers des lettres plus anguleuses. C’est la naissance de la minuscule gothique, gotische Minuskel ou gebrochene Schrift, qui se répand depuis le nord de la France vers la Flandre et l’Angleterre pour faire son apparition dans l’espace germanique au XIIe siècle.

C’est à ce moment-là que naît une forme dérivée de la précédente, appelée gothique textura qui devient un siècle plus tard l’écriture dominante dans toute l’Europe occidentale. Coexistent d’autres formes de minuscule gothique : la rotunda dans le sud de l’Europe et la bastarda dans le nord de la France.

En parallèle, pour un usage quotidien (comptabilité, commerce…) se développe une écriture cursive, la cursive gothique ou gotische Kursive,plus rapide à écrire et moins anguleuse. À cette époque, seule l’écriture manuscrite existe puisque l’imprimerie n’est inventée qu’au XVe siècle.


Écritures et imprimerie

Dans cet acte de naissance, on peut observer la différence entre écriture manuscrite et imprimée (jpg - 56 Ko)

Dans cet acte de naissance, on peut observer la différence entre écriture manuscrite et imprimée

Au XVe siècle,les premiers imprimeurs s’inspirent largement de la gothique textura pour établir les caractères d’imprimerie.C’est ainsi qu’est imprimée la fameuse Bible de Gutenberg. Néanmoins, dès la fin du siècle, c’est l’écriture humanistique, plus ronde et espacée, née dans les cercles humanistes italiens, qui s’impose dans l’imprimerie dans toute l’Europe occidentale.

Seul l’espace germanique continue à imprimer en écriture gothique. La textura donne naissance aux caractères Schwabacher puis à la Fraktur au XVIe siècle. C’est cette dernière forme d’écriture, la Fraktur, qui est utilisée majoritairement dans les imprimés germanophones, et donc à Strasbourg, jusqu’au début du XXe siècle. La Frakturse distingue par la coexistence de deux formes de s, le s long et le s rond, et par de grandes ressemblances entre plusieurs caractères différents, et notamment entre le f et le s long, distingués seulement par un léger trait horizontal.


L’écriture manuscrite

L’écriture manuscrite, quant à elle, se distingue aussi progressivement entre l’espace roman et l’espace germanique. Dans ce dernier, la cursive gothique donne naissance à une série d’écritures cursives penchées appelées Kurrentschrift. Cette écriture est enseignée dans les écoles et maîtrisée par la majeure partie de la population à partir du XVIIIe siècle. Elle ne sera figée qu’au XIXe siècle.

Après la Première Guerre mondiale, la Kurrentschriftest remplacée à l’école par une écriture droite, plus nette, la Sütterlinschrift,du nom de son créateur, Ludwig Sütterlin. Strasbourg étant revenue à la France en 1919, cette écriture est peu présente dans les fonds d’archives strasbourgeois.


La querelle Antiqua - Fraktur

Sur cette affiche de 1775, on peut comparer la différence entre Fraktur et Antiqua, 1 MR 50 (jpg - 148 Ko)

Sur cette affiche de 1775, on peut comparer la différence entre Fraktur et Antiqua, 1 MR 50

Cette différentiation entre les écritures dites latines ou Antiqua et la Frakturentraîne à partir du XVIe siècle en Allemagne, et à Strasbourg en particulier, un phénomène de double écriture ou Zweischriftigkeit.Cela signifie que les deux systèmes d’écriture coexistent, l’un, la Fraktur, servant à écrire et imprimer l’allemand, et l’autre, l’Antiqua, servant aux autres langues, et surtout les langues romanes (latin et français principalement).

Par convention, au sein même d’un texte allemand en Fraktur, les mots issus du français ou du latin sont écrits en Antiqua. Elle sert également à écrite les noms propres. L’écriture latine reste enseignée en parallèle de la Kurrentschriftdans les écoles.

Cette double écriture engendre de vifs débats autour de 1900 entre les pro-Fraktur et les pro-Antiqua. Ces derniers militent pour un abandon de la Fraktur, par souci de lisibilité et d’uniformité avec les autres langues. L’Antiqua gagne du terrain sous la République de Weimar mais la Frakturne sera abandonnée dans les écoles et les écrits officiels qu’en 1941. La Fraktur persiste, parfois simplifiée, sur des enseignes ou dans des publicités jusqu’à nos jours dans le monde germanophone.


Uniformité de l’imprimé et multiplication des écritures individuelles

À partir du milieu du XXe, les imprimés, qu’ils soient en français ou en allemand, n’évoluent plus qu’en termes de police de caractères. Ces dernières évoluent au gré des modes, des organismes et des habitudes individuelles, en lien notamment avec l’informatisation de l’administration municipale et communautaire. On observe néanmoins depuis une vingtaine d’années une certaine uniformisation des pratiques au sein des institutions avec le développement des chartes graphiques.

L’écriture manuscrite quant à elle s’individualise fortement, les règles scolaires semblant être moins suivies, tandis que l’écrit personnel envahit de plus en plus le quotidien. La lecture ne présente alors plus de difficultés liées à une forme d’écriture en particulier, mais on se heurte parfois aux "pattes de mouche" de nos contemporains.